Prince revient sur Internet et la musique repart… [Analyse]
Ce n’est pas l’expérience utilisateur du nouveau site Internet de Prince 20pr1nc3.com, ni le fait que c’est l’un des rares musiciens dont j’ai été fan, qui justifient cet article, c’est plutôt que Prince avait dit en 2010 que l’Internet était fini et qu’il s’est trompé;-)
Balayons rapidement les fonctionnalités du nouveau site de Prince, que seul un artiste de sa notoriété avec une base de fans considérables peut se permettre de faire:
- Une URL avec une écriture cryptique 20PR1NC3, le 20 pour le 2013, le 1 pour le I et le 3 pour le E,
- Une balise meta-title qui dit simplement « 2013 » et même pas Prince en guise de mot clé,
- Une simple page avec le lovesymbol (ex-nom de la star) et 3 vidéos sans explication, ainsi que des emplacements pour 6 vidéos complémentaires,
- La première vidéo est très bien néanmoins, avec le dernier clip de la star en preview;-)
Nous sommes ainsi dans un véritable jeu de piste, où le visiteur est laissé sur sa faim pour entretenir le mythe – tout le contraire de ce que doit faire une entreprise normale souhaitant gagner des nouveaux clients. Il n’y a pas de place pour la frustration quand on ne vous connaît pas et on ne vous adore pas déjà…
Revenons maintenant au rapport de Prince avec l’industrie de la musique (avec l’aide de Wikipedia), car il à tout essayer en précurseur:
- Artiste vedette de la Warner du temps de sa gloire dans les années 80, il claque la porte de la major en 1993 juste après avoir signé l’un des contrats du siècle (il avait été nommé Vice President de Warner avec une avance de 100 millions de dollars pour les 10 albums à venir)
- Ainsi, il se met à la distribution directe de sa musique dès 1993 sans pouvoir utiliser son nom qui appartient encore à Warner. Il tente d’ouvrir des magasins en propre (NPG stores), de la vente par catalogue (93), par téléphone (94), pendant les concerts (95) puis par Internet dès 1999
- Il crée un site de téléchargement légal le Musicology Download Store (2003-2006)
- Il intègre le CD Musicology dans le prix de ses billets de concert (2004)
- Il réédite son coup en 2007 avec l’album Planet Earth tout en en distribuant 3 millions d’exemplaires supplémentaires avec le Mail on Sunday,
- En 2008 il distribue son CD Indigo Nights avec un recueil de photographie de ses concerts,
- En 2009 il a mit un ligne un nouveau site LotusFlow3r qui propose du contenu inédit,
- Et en 2010 Prince s’appuie à nouveau sur la presse pour distribuer son CD 20Ten avec le Courrier International en France, le Daily Mirror en Angleterre, etc.
- C’est d’ailleurs dans le Daily Mirror qu’il va dire que the « Internet is Over »
A cette époque après avoir tout essayé, Prince, ne trouvait pas la bonne façon de gagner de l’argent avec la musique sur Internet.
Ainsi après avoir déclaré son intention en 2007 d’attaquer en justice Youtube, eBay, et The Pirate Bay pour violation de ses droits, il ne voyait pas » pourquoi il mettrait sa musique sur iTunes ou une autre plateforme musicale qui ne lui payerait pas d’avance ». Pour lui, « Internet c’est comme MTV« , « c’était classe à une époque et maintenant c’est démodé »!
Il faut croire que sur ce point Prince se soit trompé et fasse aujourd’hui marche arrière avec son nouveau site. Cela tombe bien car la musique semble repartir grâce au numérique avec maintenant plus de 50% des ventes qui proviennent du numérique et non plus des CDs physiques (sauf en France où le numérique ne représente que 25%), et surtout des plateformes légales qui commencent à bien correspondre à la demande:
- Téléchargement payant à des prix compétitifs dans catalogue très large sur des plateformes tels qu’iTunes, Google Play, etc. intégré dans les terminaux,
- Ecoute gratuite de morceaux en streaming financé par la publicité sur Spotify ou Deezer.
Le modèle classique de la radio et de l’achat de CD a été reproduit et le consommateur a de moins en moins de raison de pirater (ce qui n’est pas encore le cas du cinéma ou des séries où le catalogue est encore bien pauvre et les prix encore excessif).
Autre exemple impressionnant le succès de Gangnam Style de Psy dont nous avons déjà parlé, qui a gagné grâce à Youtube et ses plus de 1,2 milliards de vues plus de 8 millions de dollars, essentiellement sous forme de publicité vidéo en pre-roll ou mid-roll mais surtout en opt-in, le système Trueview de Youtube qui souligne que même la publicité vidéo commence à trouver un modèle non intrusif accepté par le consommateur.
Si cette évolution d’Inbound Marketing est plutôt positive pour la musique et les musiciens, elle ne remet malheureusement pas en cause le sytème de Winner take all du star system, il y’aura toujours peu d’élus tels que Psy et beaucoup de déchus…
Et vous qu’en pensez-vous? Pensez-vous que la musique a enfin trouvé son modèle sur Internet? Je tiens aussi à saluer l’initiative de Julien Cazenave qui monte une agence de marketing dédiée à l’univers de la musique One Stamp Beyond. Nous devrions travailler ensemble sur certains projets alors contactez-nous😉
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4 Commentaires
Didier Zerdoun dit: 29 Jan 2013
Lire aussi l'article de Télérama.fr sur le sujet:
https://www.telerama.fr/medias/google-youtube-spotify-qui-doit-payer-pour-la-musique,92667.php
Gabriel Dabi-Schwebel 29 Jan 2013
Merci Didier, très intéressant; -)
Julien Cazenave dit: 28 Jan 2013
Article très intéressant sur un artiste qui n'a pas toujours fait l'unanimité dans ses choix stratégiques et ses sorties dans la presse (loin de là). On dirait que ça va un peu mieux mais ce n'est pas encore ça.
Au travers de ce nouveau site, Prince et son entourage montre encore de vraies limites sur leur compréhension de ce qu'est Internet aujourd'hui. Même si la stratégie "Less is better" est bien pensée et entretient effectivement le mythe, ils sont loin d'optimiser des vidéos pourtant d'une qualité certaine :
- l'ensemble des vidéos ont été uploadées uniquement sur Vimeo. Certains fans ne l'ont d'ailleurs pas compris et ont ainsi téléchargé illégalement son clip sur Vimeo pour la réuploader sur You Tube. Ici par exemple : https://www.youtube.com/watch?v=9a6WwT9LNJw.
- Prince passe donc totalement à coté des avantages de YouTube : SEO, construction d'une communauté via les abonnements à sa chaîne (qui n'existe manifestement d'ailleurs pas), viralité et monétisation (pub éventuelle et streams qui lui seraient reversés). Pire, il laisse à ce fan le soin de récolter de nouveaux abonnés sur sa chaine perso. Heureusement pour lui que ce fan semble être un vrai évangéliste fidèle qui renseigne le site de Prince et ne cherche pas à monétiser lui-même la vidéo...
- Lui et son équipe ont quand même supprimé les possibilités de partage dans l'embedded de toutes les vidéos sur le site. Le fan ne peut donc partager que l'url du site. Il est évident que le fan le fera bien moins facilement que via le bouton share intégré généralement dans les vidéos ou via tout simplement des boutons classiques pour partager une page (qui sont eux aussi absents !). Cela traduit selon moi un vrai problème de compréhension et de stratégie qui ne sont finalement pas si étonnants si on réalise que Prince ne possède pas de page Facebook et son Twitter est inactif depuis presque 1 an...
Certains penseront que Prince peut se le permettre parce qu'il n'a plus rien à prouver et qu'il est multi-millionaire... Personnellement, je reste certain qu'il passe à coté d'entrées d'argent extrêmement conséquentes.
Enfin, et surtout, faire des sorties dans la presse comme il a fait ces dernières années en se plaignant qu'Internet était mauvais pour lui alors qu'il montre clairement qu'il ne comprend pas l'outil, qu'il ne cherche aucunement à tirer tous les avantages possibles de celui-ci, lui font perdre une grande part de crédibilité à mes yeux.
Voilà, on aura compris que je ne suis pas un grand fan de Prince sur Internet. Heureusement qu'il reste un musicien hors norme :).
Didier Zerdoun dit: 28 Jan 2013
Prince est un artiste immense mais un piètre geek ;)
Cela dit, bien malin qui peut dire quel sera le modèle économique de la musique dans 10 ans. Le streaming façon Deezer ou Spotify est loin d'avoir trouvé son modèle économique et les artistes y sont très faiblement rémunérés. En outre, le piratage continue: chez les moins de 25 ans, acheter de la musique est inconcevable. Ils ont été élevés dans la culture du gratuit. Enfin, le modèle Live Nation, qui consiste à miser sur les concerts pour rentabiliser un artiste, a vu ses limites.
Reste le système de la licence: un (faible) pourcentage du chiffre d'affaires lié à Internet (CA des FAI, CA publicitaire, CA e-commerce,...?) consacré à la rémunération de la musique.
Un peu sur le modèle du cinéma français, qui finance la production nationale par une taxe sur tous les billets de cinéma vendus en France.
C'est compliqué à mettre en place, surtout dans un environnement international, certes, mais c'est -peut-être- le moins mauvais des systèmes pour permettre de maintenir une création musicale forte.
C'est de toute façon une piste de réflexion à creuser.
A moins que Prince n'ait imaginé la solution il y a longtemps: "Let's go crazy"...