Pascal Mendak, directeur Legal Dev, Groupe Fargo, Gabriel Dabi-Schwebel, fondateur de l’agence 1MIN30, Sabrina Tantin, de l’agence Headcom, et Nathalie Rehby, de l’agence Satellitis, constatent régulièrement la marge de progression des avocats pour développer leur clientèles et tracent les grandes lignes de la communication ad hoc.
Il n’est un secret pour personne que, mis à part quelques pénalistes largement médiatisés, les avocats ne sont pas toujours très à l’aise pour mettre en œuvre leur propre stratégie de communication. Le législateur et une déontologie exigeante s’étaient chargés de forger pour la profession une culture où le marketing et le démarchage n’avaient pas droit de cité. Aujourd’hui, la loi devenue plus souple depuis la loi Hamon du 17 mars 2014 et le décret du 28 octobre de la même année il est essentiel, pour toute typologie de cabinets, de fournir de nouveaux outils qui leur permettront de fidéliser leur clientèle et de la développer. En marge de cette nouvelle problématique qu’ils découvrent progressivement, les avocats affrontent de surcroît l’arrivée en force des legal start-up qui changent la donne…
Quelles sont vos perceptions face au déploiement permanent de ces nouvelles structures ?
Gabriel Dabi-Schwebel : Aujourd’hui, le risque pour les cabinets d’avocats traditionnels par rapport aux legal-tech, est de se faire désintermédier. Des acteurs comme Captain Contrat ont compris les codes de l’internet et ont adopté une stratégie marketing super efficace avec de l’inbond, des contenus, des livres blancs, du marketing automation… Ils viennent capturer des leads que les cabinets d’avocats n’ont pas parce qu’ils ne font pas fait le job.
Nathalie Rehby : Et parce que ces cabinets d’avocats sont aussi perçus comme trop chers sur les services que proposent les legal startup.
Gabriel Dabi-Schwebel : Il y a effectivement le problème du prix, mais il y a également la dimension communication. Les jeunes qui lancent les start-up sont malins. Ils connaissent le web, ils n’ont pas peur d’y aller. Ils font de l’uberisation dans une logique de plateforme. Un avocat qui travaille pour eux peut gagner 15 000 euros par mois, tranquillement chez lui, en caleçon, sans cabinet, sans siège dans le 16e arrondissement qui coûte cher, sans assistante…
Pascal Mendak : Certains cabinets d’avocats, qui nous ont approchés sur la question des legal start up, mettent en doute le sérieux de ces plateformes et y voient l’image ternie de la profession… Ils ne se rendent pas compte des leads qu’ils pourraient obtenir grâce à elles, dès lors qu’elles respectent la déontologie de la profession d’avocat. Il y a réelle incompréhension alors que le potentiel de développement de nombreux cabinets passe par des relations renouvelées (nouveaux services, espaces utilisateurs simples et facilement accessibles, permettant davantage de travail collaboratif..). Depuis le mois dernier, le CNB a ouvert sa propre plateforme de consultations, mais les avocats ont toute latitude pour poursuivre leurs démarhes innovantes auprès des jeunes acteurs du droit.
Sabrina Tantin : En effet, les évolutions se portent sur le digital, que ce soit en terme de communication ou en terme de marketing. La tendance, renforcée par la création des legal start-up, démontre une nécessité pour les cabinets, non pas de s’adapter mais d’évoluer vers de nouvelles stratégies et de nouveaux outils pour leurs clients. On le constate dans les enquêtes, les clients sont de moins en moins fidèles, qu’ils veulent de la réactivité de la part de leur avocat et des tarifs adaptés à leur problématique et non un taux horaire…qu’ils ne comprennent plus. Les clients des cabinets n’hésitent plus mettre en concurrence les avocats et à utiliser des platesformes web de mise en relation. Chose impensable il y a quelques années !
Nathalie Rehby : Cela vient aussi du fait que les legal start-up qui font cette intermédiation vont chercher les clients. L’avocat n’est pas du tout habitué à cette démarche, qui est une démarche commerciale. La loi Hamon, avec l’autorisation du démarchage, est récente. Pour un avocat, aller chercher un client est déjà un problème de culture, totalement inédit. Les avocats ne se perçoivent pas comme des vendeurs ! Ils n’ont pas non plus été formés au marketing…
Sabrina Tantin : Les sociétés de conseil en communication pour cabinets d’avocats ont permis d’assouplir les rapports des avocats à la communication, et de les accompagner de façon optimale face aux évolutions : ultra médiatisation des affaires judiciaires, développement de la communication digitale, webmarketing, etc. Les différentes évolutions du Règlement interieur national (RIN)sont accompagnées d’une transformation de l’organisation et de la gouvernance au sein des cabinets, pour faire face à la concurrence et plus précisément à la crise. La communication et le marketing prennent une importance croissante dans la vie et l’organisation des cabinets d’avocats, que ce soit au niveau institutionnel ou individuel.
Nous disons aux avocats « il faut y aller », en leur proposant un accompagnement par des professionnels de la communication qui doivent avoir parfaitement appréhendé les nouveaux textes pour convaincre les avocats de se lancer.
Les avocats sont très frileux. Ils regardent ce qui se passe et s’ils voient des choses positives, ils peuvent décider de se lancer, souvent avec un temps de retard, car les premiers cabinets à s’adapter, sont les premiers à toucher de nouvelles cibles et à développer le chiffre d’affaires de leur structure.Nathalie Rehby : Ce n’est pas que, par essence, les avocats sont contre le changement. Ils ont simplement besoin de comprendre. Quand ils ont compris que le système de la communication et du marketing, et que ça fonctionne, ils s’engagent. Ils ont besoin d’apprendre et d’être formés. Et on le constate… Ainsi des avocats indépendants se rapprochent ainsi de legal start-up.
Gabriel Dabi-Schwebel : Les avocats ne sont tout de même pas des “early adopters”. Ils ont été l’une de mes premières cibles de prospection, parce qu’il y avait du fond, de l’expertise, de l’actualité permanente. Il y a largement matière à animer un média propre au cabinet. Je trouvais que ce marché se prêtait bien à une approche digitale comme certains le faisaient de façon un peu indépendante. En fait, les avocats ne comprennent pas vraiment ou n’ont pas envie de le comprendre. Même les plus “tech friendly” s’engagent sans se donner toutes les chances. Le marketing et la communication restent encore assez loin de leur univers.
Quelles sont vos premières démarches lorsque vous travaillez avec professionnel du droit ?
Pascal Mendak : Quand nous échangeons avec un cabinet d’avocats ou une étude de notaire avant d’évoquer avec eux tout le potentiel des nouveaux outils, nous commençons par les écouter avant de leur livrer un diagnostic préalable. En ce sens, nous avons un travail initial assez journalistique et d’investigation, en les questionnant sur leur quotidien, leurs objectifs de développement, la vision qu’ils ont de leur activité, ce qu’ils ont déjà entrepris comme actions de communication. Nous leur proposons ensuite une synthèse de préconisations sur leur positionnement et les actions à mettre en place pour les aider à préciser et réaliser leurs objectifs. Nous sommes réellement des facilitateurs et des soutiens de leur business development. Il est pour nous essentiel de les connaître, de découvrir leur ADN.
Sabrina Tantin : la toute première démarche pour un accompagnement en communication avec un professionnel du droit est d’Ecouter. Cette écoute est réalisée par des entretiens, individuels et collectifs. La compréhension du fonctionnement interne, de ses points forts et points faibles, mais aussi des clients du cabinet, sont un préalable indispensable avant d’entamer un audit précis et détaillé. Cela permet de proposer par la suite un plan d’action en totale adéquation avec l’organisation et la stratégie de développement du cabinet. Précisons qu’il n’y a pas de taille minimale pour un cabinet qui souhaite faire de la communication. Tout dépend de la détermination de l’avocat et de ses objectifs de visibilité et de développement.
Pascal Mendak : Nous pouvons aussi bien faire un lancement et un suivi pour un petit cabinet et intervenir aux côtés d’un cabinet international.
Gabriel Dabi-Schwebel : L’un des avocats qui a la plus belle présence sur internet actuellement travaille seul, sans agence de communication. C’est Eric Rocheblave, un Toulousain, spécialiste en droit du travail.
Pourquoi certains sont plus « frileux » que d’autres ?
Nathalie Rehby : Cela fait vingt ans que je m’occupe d’avocats. Pour moi, c’est d’abord une question d’ouverture d’esprit, donc de formation. S’ils n’ont jamais abordé les problèmes de communication, ni à l’EFB ni ailleurs , ils restent sur le schéma traditionnel. – En effet, à la faculté de droit, rien sur les aspects de la profession. Puis à l’EFB, quand il y a des formations, c’est encore trop souvent des options, non obligatoires. Même dans la formation continue, les formations sur la gestion du cabinet, le marketing, le management, la communication sont beaucoup trop rares. En revanche, dès que les avocatss ont l’ouverture d’esprit, née lors d’un double cursus ou parce qu’ils ont une appétence particulière, les choses sont plus simples. Ou encore si les cabinets s’intéressent à des méthodologies nouvelles comme la RSE (responsabilité sociale des entreprises). Notre rôle est aussi de leur proposer de nouveaux concepts, de nouvelles méthodes, de les former, de les sensibiliser et de les alerter. Mieux informés, ils deviennent plus performants en communication.
Gabriel Dabi-Schwebel : En revanche, ce ne sont pas toujours ceux qui ont la meilleure appétence pour la communication qui se rendent le plus visibles. Les plus efficaces sont ceux qui ont un beau “personal branding”, qui travaillent bien leur visibilité, qui développent leur expertise. Ces derniers ne développent pourtant pas nécessairement une équipe ou ne structurent pas un business autour de cette réussite. Il y a souvent un décalage assez important entre l’image perçue et l’expertise réelle. Cette faculté de bien développer son activité est très personnelle. Les avocats qui parviennent à bien diffuser leur communication, à la partager entre les différents acteurs de l’entreprise, entre les différents collaborateurs, entrent dans une démarche structurée de l’entreprise, à travers une série de process. On quitte alors le côté parfois individualiste, voire hyper individuel, du personal branding.
Nathalie Rehby : On pouvait penser qu’avec l’arrivée des jeunes générations, a priori plus geek, les choses allaient évoluer. Et bien cela ne se traduit pas dans les faits.
Gabriel Dabi-Schwebel : C’est vrai d’une façon générale. Ce n’est pas parce qu’on embauche un jeune qu’il va se mettre à tweeter et à blogger, loin de là.
Sabrina Tantin : Surtout si cela ne fait pas partie des objectifs en interne. Si la participation au développement du cabinet à travers des actions de communication ou marketing n’est pas reconnue en interne, que ce soit par des primes ou autres, les avocats ne seront pas enclins à contribuer aux actions que nous leur proposerons.
Par ailleurs, une concurrence exacerbée entre les acteurs du droit a conduit les cabinets d’avocats à évoluer vers une organisation semblable à celle des entreprises en tenant compte, entre autres, d’impératifs de rentabilité et, bien que la communication pour les avocats soit devenue usuelle depuis plus de dix ans, nombre d’entre eux ont encore des idées reçues sur ce qu’est la communication et les fins de cette dernière. Leur plus grand amalgame est de croire que la communication se résume à une perte financière et à de la publicité, qui a une connotation négative.
Certains craignent peut-être que les principes essentiels de la profession ne soient pas respectés : dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, loyauté, confraternité… Mais les professionnels de la communication et du marketing des cabinets d’avocats maitrisent et respectent parfaitement leur déontologie. Cette connaissance est une force pour les agences spécialisées mais aussi et surtout pour les cabinets clients !
Les avocats -clients- ont constaté que la communication, à long terme, pouvait générer une augmentation de leur chiffre d’affaires. De passifs, les avocats sont devenus actifs voire proactifs en matière de communication.
Communicants pour les professionnels du droit : qu’attendent vos clients de vous ?
Pascal Mendak : Il n’est pas nécessaire d’être un éminent juriste pour accompagner un cabinet ou une étude dans sa communication, mais une culture juridique aide vraiment à comprendre leur activité, afin de leur proposer des prises de parole pertinentes dans les médias afin d’optimiser leur image Cette culture instaure une certaine proximité qui nous permet de rebondir sur certains sujets d’actualités et de challenger nos clients. Nous devons quotidiennement traduire leur besoins en rédigeant ou rewritant selon leur demande leurs prises de parole. Naturellement, la dimension marketing est essentielle dans notre activité. Il est important de sensibiliser nombre d’eux aux bases du marketing afin qu’ils puissent analyser leur leur ciblage et leurpositionnement. Cela permet ensuite, de construire avec eux et de mettre en œuvre leur stratégie de communication (relations presse basées sur une stratégie de contenus, identité visuelle et numérique, média training, etc..).
Sabrina Tantin : Synthétiquement, ce qu’attendent les clients : une parfaite connaissance de leur métier et de leur déontologie, du conseil, de la réactivité et des résultats !Donnez-moi une bonne stratégie, je vous ferai une bonne communication : professionnaliser sa communication est une tendance structurelle comme en témoigne le Conseil national des barreaux à travers l’écriture de l’article 10 du RIN relatif à la publicité.
Dès lors s’entame une relation favorisant didactique et confiance… La communication est une composante essentielle de cette relation. Elle doit faire l’objet d’une méthodologie adéquate et les actions qui en découlent doivent être structurées. Il ne s‘agit pas de déposséder un cabinet de sa communication.
L’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie de communication passe nécessairement par une phase de réflexion et de formalisation. Ce travail repose notamment sur plusieurs étapes indispensables, telles que cerner l’identité du cabinet, identifier les valeurs, définir les cibles, fixer les objectifs, sélectionner les outils ou supports et mobiliser les ressources. L’objectif est d’obtenir un projet de communication parfaitement sur-mesure pour chaque cabinet.
Et les perspectives d’avenir sont encourageantes pour ce secteur d’activité ?
Nathalie Rehby : Les avocats attendent du conseil et de l’accompagnement. Il est nécessaire de les aider à analyser leur situation, comprendre leur environnement, trouver une stratégie, de leur donner des conseils, leur proposer des nouveautés, Puis de les accompagner dans la réalisation de ce qu’ils auront décidé, notamment l’écriture des messages, la réalisation d’outils… Il est nécessaire que le communicant soit bien intégré au sens où il doit bien connaître le cabinet, les avocats et les domaines pratiqués pour bien le porter auprès des médias, des clients, des prospects, des organisateurs de colloques, etc. Il faut aussi sans cesse les conseiller sur la tension secret / transparence. Et leur démontrer combien leur déontologie est un avantage concurrentiel et non un frein à la communication.
Le budget marketing/communication des avocats
Pour Nathalie Rehby –Satellitis–, les entreprises consacrent généralement, « un budget marketing/communication “B to C”, d’environ 10 % de leur chiffre d’affaires et en “B to B”, la moyenne est plutôt de l’ordre de 5 % ». Pour les cabinets d’avocats, plus spécifiquement sur le barreau d’affaires, une étude menée par Juristes Associés précise que « la majorité des cabinets consacrent de 2 à 3 % du chiffre d’affaires à ce budget marketing/communication. Ceux qui y ont consacré de 3 à 4 % ont fortement progressés ces dernières années… Le budget des 100 premiers cabinets dépassent 5 % du chiffre d’affaires ».
Concernant les sites, une étude Mycercle précise « qu’un avocat individuel sur cinq en dispose, ainsi que 100 % des cabinets de plus de 100 avocats. Le seuil de déclenchement du site semble être de deux à trois avocats ». Selon Nathalie Rehby « ces sites restent néanmoins des sites “vitrines” sans réelles composantes dynamiques ».
Extrait de : https://www.affiches-parisiennes.com/les-avocats-et-la-communication-encore-un-long-chemin-6413.html